La copie privée est une exception au droit d'auteur. Elle vous autorise à copier pour votre usage privé des contenus protégés et réalisés à partir d’une source légale. Grâce à la redevance pour copie privée (ou rémunération pour copie privée) vous pouvez, par exemple, copier votre film préféré sur votre box, enregistrer vos musiques ou vos images favorites sur votre smartphone, lire vos livres sur votre tablette, etc. En contrepartie, les fabricants (ou importateurs) de ces supports de stockage versent une rémunération pour les auteurs, artistes, éditeurs et producteurs des œuvres qui sont ainsi dupliquées.
Cette rémunération permet en effet de compenser le préjudice subi par les auteurs, artistes, éditeurs et producteurs du manque à gagner résultant de cette utilisation massive et gratuite de leurs œuvres. Jusqu'ici le cloud, du moins les fournisseurs de service de cloud computing, notamment de stockage, échappaient encore à cette mesure. Mais le bras de fer juridique entre Austro-Mechana et Strato AG a abouti à une décision de la CJUE selon laquelle ces acteurs doivent dorénavant être soumis à la redevance sur la copie privée. Austro-Mechana est une société de gestion collective des droits d’auteur (l'équivalent de la SACEM en Autriche).
Strato AG quant à lui est un prestataire allemand de cloud qui met, comme d’autres, à disposition de ses clients des espaces de stockage en ligne. Considérant que des œuvres protégées peuvent être enregistrées dans le cloud, Austro-Mechana a saisi le Handelsgericht Wien (le tribunal de commerce de Vienne, en Autriche) pour réclamer le paiement de la redevance pour copie privée à Strato. Cependant, le tribunal de commerce de Vienne a rejeté la demande, au motif que Strato ne cède pas de supports d’enregistrement à ses clients, mais leur fournit un service de stockage en ligne. Austro-Mechana ne s'est pas satisfaite de cette décision.
La SACEM autrichienne a fait appel auprès de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), mais ce dernier a préféré solliciter les compétences de la CJUE pour trancher l'affaire. En effet, la rémunération pour copie privée est une institution encadrée par le droit européen, en particulier par la directive de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. Ainsi, le tribunal régional supérieur de Vienne a demandé à la CJUE si la copie (sauvegarde) d'une œuvre dans un espace de stockage en ligne relève de l’exception de copie privée prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.
Voici ce que répond la CJUE : « force est de constater que le téléversement (upload), depuis un terminal connecté d’un utilisateur, d’une œuvre dans un espace de stockage en ligne mis à la disposition cet utilisateur dans le cadre d’un service de cloud computing implique la réalisation d’une reproduction de cette œuvre, ce service consistant notamment à stocker dans le cloud une copie de celle-ci. Au demeurant, d’autres reproductions de cette œuvre sont aussi susceptibles d’être réalisées, notamment lorsque l’utilisateur accède, au moyen d’un terminal connecté, au cloud afin de télécharger (download), sur ce terminal, une œuvre préalablement téléversée dans le cloud ».
Plus précisément, la Cour estime que la directive 2001/29 prévoit que l’exception de copie privée s’applique aux reproductions effectuées sur « tout support ». Et en ce qui concerne les termes "tout support", elle relève qu’ils visent l’ensemble des supports sur lesquels une œuvre protégée peut être reproduite, y compris les serveurs utilisés dans le cadre du cloud computing. Par conséquent, le fait que le serveur appartienne à un tiers n'est pas un facteur déterminant. Ainsi, l’exception de copie privée peut s’appliquer à des reproductions effectuées par une personne physique à l’aide d’un dispositif appartenant à un tiers.
En outre, un des objectifs de la directive 2001/29 est d’empêcher que la protection du droit d’auteur dans l’UE devienne obsolète en raison de l’évolution technologique. Cet objectif serait compromis si les exceptions au droit d’auteur étaient interprétées en excluant les médias numériques et les services de cloud computing. La Cour refuse donc de faire une distinction entre "la reproduction d’une œuvre protégée effectuée sur un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par un fournisseur de cloud" et "la reproduction effectuée sur un support d’enregistrement physique appartenant à cet utilisateur".
En ce qui concerne le paiement de la redevance, c’est en principe à la personne qui effectue la copie privée, à savoir l’utilisateur des services de stockage dans le cadre du cloud computing, qu’il incombe de financer la compensation. Cependant, la Cour note que si l'identification des utilisateurs finaux devait poser problème, les États membres peuvent instaurer une redevance pour copie privée à la charge du producteur ou de l’importateur des serveurs, au moyen desquels les services de cloud computing sont proposés à des personnes privées. Cette redevance sera répercutée économiquement sur l’acheteur de tels serveurs.
Elle sera en définitive supportée par l’utilisateur privé qui utilise ces équipements ou à qui un service de reproduction est rendu. Par ailleurs, des critiques ont fait remarquer qu'en France où les ayants droit sont particulièrement "insatiables", ils pourraient exiger que la redevance soit perçue auprès des importateurs des serveurs, du prestataire du service en ligne, et pourquoi pas comme l'évoque Next Inpact, sur les appareils permettant d'accéder à ces services cloud.
Sources : L'arrêt de la CJUE, le Code de la propriété privée
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