
Ces enregistrements sont généralement conservés dans le cloud pendant environ un mois, bien que la période de stockage puisse être étendue si nécessaire. Au total, environ 11 500 téraoctets de données (soit près de 200 millions d’heures d’audio) seraient entreposés sur les serveurs européens de Microsoft (principalement aux Pays-Bas et en Irlande).
La mise en œuvre d'un tel système à cette échelle représente une évolution significative dans les capacités de surveillance étatique, soulevant des interrogations profondes sur la nature de la surveillance dans les territoires occupés.
Grâce à la capacité de stockage quasi illimitée d'Azure, l'unité 8200 a commencé à mettre au point un nouvel outil de surveillance de masse puissant : un système intrusif et exhaustif qui collecte et stocke les enregistrements de millions d'appels téléphoniques passés chaque jour par les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Révélé dans le cadre d'une enquête menée par le Guardian en collaboration avec la publication israélo-palestinienne +972 Magazine et le média en langue hébraïque Local Call, ce système basé sur le cloud, qui est devenu opérationnel en 2022, permet à l'Unité 8200 de stocker quotidiennement une quantité gigantesque d'appels pendant de longues périodes.
Microsoft affirme que Satya Nadella, son PDG, n'était pas au courant du type de données que l'unité 8200 prévoyait de stocker dans Azure. Mais une série de documents Microsoft divulgués et des entretiens avec 11 sources issues de l'entreprise et des services de renseignement militaires israéliens révèlent comment Azure a été utilisé par l'unité 8200 pour stocker ces archives exhaustives des communications quotidiennes des Palestiniens.
Selon trois sources de l'unité 8200, la plateforme de stockage cloud a facilité la préparation de frappes aériennes meurtrières et a façonné les opérations militaires à Gaza et en Cisjordanie.
Grâce au contrôle qu'il exerce sur les infrastructures de télécommunications palestiniennes, Israël intercepte depuis longtemps les appels téléphoniques dans les territoires occupés. Mais le nouveau système, qui fonctionne sans discernement, permet aux agents de renseignement de réécouter le contenu des appels cellulaires passés par les Palestiniens, capturant ainsi les conversations d'un nombre beaucoup plus important de civils ordinaires
Azure et traitement des données vocales
D’un point de vue technique, cette opération repose sur les services cloud d’Azure, réputés pour leur haute capacité de stockage et de calcul. Unit 8200 a travaillé avec des ingénieurs de Microsoft pour bâtir un « outil révolutionnaire » de traitement des communications : les enregistrements audio des appels interceptés sont transférés dans un environnement virtuel sécurisé et surveillé. Les documents fuités indiquent que l’armée prévoit de migrer jusqu’à 70 % de ses données (confidentielles et top-secrètes) vers Azure, défiant les usages classiques de stockage hors du cloud.
Grâce à cette plateforme, les analystes peuvent retrouver rétroactivement les conversations de n’importe quel individu devenu « intéressant », alors qu’auparavant il fallait sélectionner les cibles avant l’interception. De plus, le système est complété par des outils d’intelligence artificielle : outre le stockage, il dispose de fonctions d’analyse automatique. Par exemple, un programme surnommé « noisy message » scanne massivement les textos palestiniens pour y repérer des mots « soupçonneux » (armes, désirs de mort…). Selon les sources, des outils d’IA plus poussés permettraient d’extraire des profils de risque ou de générer des recommandations de ciblage à partir des données vocales.
Dans ce système, les appels – qu’ils soient vers Israël ou à l’international – sont conservés environ un mois dans le cloud, avec possibilité d’extension pour les conversations jugées sensibles. L’infrastructure d’Azure assure que l’énorme afflux de voix peut être traité « dernière génération », en agrégeant stockage et puissance de calcul. C’est le « nuage infini » vanté par un officier de 8200, qui permettrait de garder en mémoire des conversations de masse sans jamais manquer de place. Pour l’armée, c’est le moyen de passer d’une surveillance ciblée à une écoute globale de toute la population palestinienne, ouvrant un nouveau champ aux opérations de contre-terrorisme (ciblage, arrestations, interrogatoires).
« Un million d'appels par heure »
Des sources bien informées sur le projet ont déclaré que les dirigeants de l'unité 8200 se sont tournés vers Microsoft après avoir conclu que les serveurs militaires ne disposaient pas d'un espace de stockage ni d'une puissance de calcul suffisants pour supporter le poids des appels téléphoniques de toute une population. Plusieurs agents de renseignement de l'unité, dont les capacités de surveillance sont comparables à celles de l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA), ont déclaré qu'un slogan avait émergé en interne pour résumer l'ampleur et l'ambition du projet : « Un million d'appels par heure ».
Le système a été conçu pour être hébergé sur les serveurs de Microsoft, derrière des couches de sécurité renforcées développées par les ingénieurs de l'entreprise sur les instructions de l'unité 8200. Les fichiers Microsoft divulgués suggèrent qu'une grande partie des données sensibles de l'unité se trouvent désormais dans les centres de données de la société aux Pays-Bas et en Irlande.
Les révélations sur le rôle de la plateforme Azure de Microsoft dans le projet de surveillance interviennent alors que le géant technologique américain fait face à la pression de ses employés et investisseurs concernant ses liens avec l'armée israélienne et le rôle que sa technologie a joué dans l'offensive de 22 mois à Gaza.
Enjeux et controverses
Ce projet soulève immédiatement de vives questions de respect de la vie privée. La collecte et l’analyse de millions d’appels de civils entraînent un suivi permanent de la population palestinienne : « Quand ils n’ont pas de raison suffisante pour arrêter quelqu’un, ils la trouvent grâce aux informations stockées dans le cloud », rapporte une source militaire. Des défenseurs des droits humains dénoncent un système qui « traque tout le monde, tout le temps », assimilable à une surveillance généralisée illégale. L’accent mis sur le « tracking de chaque individu » et sur l’usage d’algorithmes pour évaluer les « risques » des citoyens crée un climat de méfiance et de violence constante, notamment en Cisjordanie où trois millions de Palestiniens vivent sous occupation.
Plusieurs ONG et experts en numérique font part de leurs inquiétudes. Un rapport de +972 Magazine souligne que le recours aux technologies cloud et IA de géants privés dans un contexte de guerre « énergise les capacités militaires d’Israël » au détriment des droits civils. Les organisations de défense des droits humains ont alerté sur les implications possibles de « cette gestion massive des données personnelles », qui s’inscrit dans un conflit aux condamnations internationales (mandats d’arrêt de la CPI en cours).
Par ailleurs, du côté des employés de Microsoft, la révélation a déclenché de vives réactions : plusieurs ingénieurs ont protesté publiquement (« No Azure for Apartheid »), un employé a interrompu fin mai 2025 une conférence de Nadella en criant « montrez comment Microsoft tue des Palestiniens ». Des actionnaires (60 investisseurs détenant 80 millions de dollars d’actions) ont également interpellé la direction en juillet 2025, exigeant davantage de contrôle sur l’usage des outils d’IA, accusant l’entreprise de « complicité potentielle de génocide ». Ces tensions internes témoignent de l’inquiétude croissante face au rôle des entreprises technologiques dans les conflits.
Microsoft: réactions officielles et contexte d’investissement en Israël
Face à ces révélations, Microsoft adopte un double discours. Officiellement, la société dément toute complicité consciente dans la surveillance de civils palestiniens. Dans un communiqué et sur son blog, Microsoft affirme n’avoir « aucune preuve à ce jour » que ses technologies Azure ou IA aient servi à cibler ou faire du mal à des populations civiles lors du conflit à Gaza.
L’entreprise rappelle que sa collaboration avec le ministère israélien de la Défense relève d’un contrat commercial classique (« logiciels, services, cloud et IA, y compris traduction automatique »), soumis à ses règles d’usage...
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